...ou « quand c'est la merde, c'est la merde ».
Je connaissais cette maxime (celle du titre) et je voulais bien lui reconnaître une certaine sagesse, cependant je n'arrivais pas à croire qu'essayer de faire mieux que ce qu'on a déjà fait puisse être un travers. J'avais tort et j'en ai fait la désagréable expérience.
J'avais passé deux couches d'huile sur le parquet de la future chambre de notre petite dernière, je trouvais ça très joli, avec un rendu satiné très doux qui mettait en valeur le veinage du bois (du pin pourtant banal), bref il n'y avait plus qu'à installer le lit de la petite pour la voir enfin quitter notre chambre qu'elle squatte tout de même depuis plus de dix-huit mois. Mais mue soudain par un désir de perfection, moi qui suis ordinairement (en dehors du travail, que mes clients se rassurent !) assez encline au dilettantisme, surtout en bricolage, ne voilà-t-y pas que je me lance dans une troisième et, croyais-je, dernière couche ! Sauf qu'entre la deuxième et celle que je me suis escrimée à passer s'étaient écoulées plusieurs semaines, quelques petits mois même, et du coup je crois bien que l'huile s'était passablement dégradée dans son pot. Résultat : une épaisse couche visqueuse qui n'était toujours pas sèche au bout de deux longues journées. J'aurais bien attendu encore un ou deux jours de plus histoire de voir ce qu'il en retournait, des fois que les choses s'améliorent aussi miraculeusement que la marée noire de B.P. Hélas c'était sans compter sur mon cher et tendre qui décida de traverser, deux fois car il y en a deux, afin d'aller fermer les fenêtres. Non mais de quoi je me mêle ?! Voilà ma jolie chambre sillonnée de deux pistes de petits petons quarante-trois fillette et tout à recommencer ! J'enrageais d'autant plus que si j'avais voulu passer une troisième couche c'était aussi en partie parce que des peintres amateurs avaient un peu salopé par endroits mon si joli plancher et que je pensais ainsi pouvoir faire disparaître ces traces. Bref pour rattraper tout ça me voilà bien obligée de me lancer dans une quatrième couche afin d'effacer les arpions disgracieux : munie de mon spalter je repasse une fine couche d'huile que je prends bien soin de faire tirer au maximum, me disant, toujours aussi naïvement, que ça devrait sécher en deux coups de cuillères à pot. Que nenni point du tout : deux jours plus tard non seulement ça n'était pas sec mais en plus mon pinceau visiblement aussi fatigué que moi en avait profité pour perdre négligemment quelques poils, créant du coup un nouveau genre de revêtement, mi-parquet, mi-moquette dans lequel en outre étaient venues s'agglomérer de minuscules fleurs de bouleau passées par les fenêtres ainsi que quelques bouloches disgracieuses ayant voleté d'on ne sait où (qui a dit « des moutons venus des pièces voisines »?) Là j'étais à deux doigts de mettre le feu à la maison lorsque me vint l'idée totalement saugrenue (et là vous allez vous demander si je ne suis pas blonde) de jeter un oeil au mode d'emploi du bidon : on a de ces idées parfois. J'y apprends qu'il faut essuyer au chiffon avant le séchage, chose que je n'avais bien sûr pas faite pour les premières couches qui étaient pourtant parfaites, ni pour le plancher des pièces précédentes, des années plus tôt, et qui sont toutes aussi jolies. C'est donc armée de chiffons que j'essuie ma quatrième couche pas encore sèche mais suffisamment toutefois pour que le chiffon s'y colle et n'essuie rien du tout ! Je vous le disais bien « Quand c'est la m... » ! Je me vois donc dans l'obligation de remettre un peu d'huile : vous suivez bien, on en est à cinq couches, disons quatre et demi. Vous n'allez pas me croire si je vous dis que trois jours plus tard certains endroits n'étaient pas secs et présentaient des traces de pinceau (alors que j'avais tout bien frotté au chiffon) et d'autres étaient parfaitement secs...et sans la moindre trace d'huile apparente, le bois étant aussi brut que lors de la pose. Alors là je dois dire que j'étais au bord du nervous breakdown, prête à jeter l'éponge, le chiffon , le pinceau, tout ce qu'on veut, et voyant déjà se profiler le spectre de notre fille toujours dans notre chambre à la veille de passer son Bac. C'est sûrement cette vision apocalyptique qui a suscitéun éclair salutaire dans mon esprit : bon sang mais c'est bien sûr, ça ne peut venir que de l'huile, elle a dû tourner, virer que sais-je, enfin elle n'était plus bonne à rien quoi. Évidemment je lui avais bien trouvé une consistance un peu épaisse, mais ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas ouvert ce pot que je ne me rappelais plus de sa consistance normale.
Voyant dans cette hypothèse mon salut je file acheter de l'huile « neuve » et en passe donc une... sixième couche. Bien qu'extrêmement sceptique devant ce liquide laiteux qui ne ressemble en rien au souvenir que j'avais des huiles passées précédemment, celles qui avaient bien marché, je me refuse à toute analyse et passe consciencieusement le produit, lame après lame, puis je ferme la porte sur le chantier, bien résolue à ne pas la rouvrir avant plusieurs jours. Évidemment je ne suis qu'une fille, donc dévorée par la curiosité je ne peux m'empêcher d'aller jeter un oeil quelques heures plus tard, prête à une nouvelle catastrophe. Hé bien vous savez quoi ? On a beau être vendredi treize le miracle a pourtant eu lieu : un joli sol bien lisse et satiné, sur lequel les doigts ne laissent aucune trace, sec et tout et tout... Je n'en reviens tellement pas que ça fait plusieurs fois que je monte pour vérifier que je n'ai pas rêvé ou que tout ne s'est pas soudain détérioré.
C'est tellement beau que je me suis dit l'espace d'un court instant que je pourrais en passer une petite dernière pour peaufiner tout ça. Mais je SAIS à présent que le mieux est effectivement l'ennemi du bien ; alors j'ai déjà averti mon mari qu'il cache les pinceaux et le pot d'huile, des fois que je serais tentée...
P.S : Il n'a de toute façon pas besoin de les cacher : il suffit qu'il range quelque chose pour que ce soit définitivement perdu...