Ainsi donc voilà près d’un mois que nous sommes en confinement. Assignés à résidence nous n’avons plus le droit de sortir que pour aller faire des achats de première nécessité (à géométrie variable cependant puisqu’il s’agit aussi bien d’aller acheter du pain pour nourrir sa famille que de la peinture pour refaire son couloir…), ou pour aller travailler là encore s’il s’agit de nécessité, bien que celle-ci soit également assez subjective : l’usine Andros près de chez moi n’a jamais cessé de tourner, il est vrai que la confiture et les bonbons sont des produits de première nécessité. À moins que mettre des centaines de personnes au chômage partiel soit considéré comme plus dommageable que la propagation du virus au sein des familles d’ouvriers (les cadres sont en télétravail, ceux-là même qui par leurs voyages d’affaire en Asie ont été les premiers à manifester des symptômes de la maladie) mais c’est un autre débat.
Je ne vais pas vous faire un article sur « ma vie en confinement », d’autres l’ont déjà fait et c’est sans doute bien plus intéressant que tout ce que je pourrais raconter. Car chez nous point trop de révolution dans nos vies.
Car voyez-vous nous avons la chance d’être à la campagne, et c’est une chance à plusieurs égards. Tout d’abord nous avons de la place, une maison avec un grand extérieur sans aucun voisin proche, nous pouvons aller dans les bois sans sortir de notre propriété, nous pouvons passer des journées entières confinés dehors et nous ne sommes pas les uns sur les autres : je mesure pleinement ma chance lorsque je m’imagine avec nos trois ados dans un appartement sans balcon, nous avons ainsi évité suicides ou/et infanticides !
Ensuite, et c’est ce qui rend notre confinement plus facile sans doute, nous avons toujours réfléchi et optimisé nos sorties : lorsque l’on habite à 20 km du premier commerce (je ne compte pas l’épicerie du village qui s’avère indispensable mais où l’on se servait déjà régulièrement, histoire de faire marcher le commerce local) on essaie de ne rien oublier sur sa liste de course quand on descend « dans la plaine ». Alors sortir une fois par semaine seulement (voire tous les 10 jours) pour aller faire ses courses, franchement on sait faire, ça n’a pas changé nos habitudes (en fait je déteste faire les courses, moins j’y vais mieux je me porte). On a l’habitude de prendre du pain pour plusieurs jours et nous ne sommes pas en manque de la baguette fraîche tous les matins comme certains pauvres citadins de notre connaissance. Notre congélateur est plein et nous avons quelques conserves, on pourrait encore espacer les sorties.
Nous avons donc de la chance car nous autres pauvres bouseux nous savons depuis longtemps vivre loin de tout ou presque. Et c’est là que l’on pourrait dire que les péquenots ont pris une certaine revanche, même si c’est à leur corps défendant et sans aucune mauvaise intention, le terme de revanche étant inapproprié mais je n’en ai pas d’autre à l’esprit. On a pu le mesurer dans les tout premiers temps du confinement, juste avant l’annonce officielle lorsque tout d’un coup les citadins aisés et heureux propriétaires de résidences secondaires sont partis ventre à terre dans leurs SUV rutilants pleins de valises : Macron avait dit que c’était la guerre, du coup c’était l’exode. Enfin pas pour tout le monde bien sûr, les prolos sont restés bien confinés dans leur HLM évidemment, faut pas exagérer.
C’est dingue comme en quelques jours la perception de la campagne profonde a pu changer : tous ces bleds paumés où on est loin de tout, où il n’y a pas de vie culturelle suffisamment intéressante en-dehors de la préfecture (et encore !), où on n’a même pas la 4G (encore heureux quand on n’est pas carrément en zone blanche), avec des connexions internet capricieuses, où ça pue la vache et où on est dérangé par le chant du coq… bref c’est marrant de voir comment tous ces coins absolument invivables plus de deux semaines en été et bons pour les bouseux sont devenus des havres de paix, de sérénité voire de sécurité pour ceux-là mêmes qui les méprisaient auparavant. Ce sont les mêmes qui une fois installés dans leur villa de bord de mer ou à la campagne risquent la contamination (la leur et celle des autres) en allant faire leur jogging ou acheter leur baguette quotidienne parce qu’ils ne peuvent pas vivre dans la cambrousse sans importer leurs habitudes de citadins.
Eh oui car tout d’un coup on a l’air de découvrir que l’isolement, la faible densité de population, la consommation locale et raisonnée, la circulation moins intensive des biens et des personnes, tout cela aurait des vertus contre la propagation des virus ! Quel scoop ! C’est d’ailleurs sans doute à un enfonceur de portes ouvertes que l’on doit cet article du Huffington Post qui nous explique pourquoi certaines zones sont épargnées (jusqu’à quand?) par le virus.
Ce ne serait pas si tragique, pathétique, franchement ça me ferait presque rire.