J’aime l’écriture, et particulièrement le plaisir de la correspondance manuscrite. J’en aime toutes les étapes, du plaisir de la plume ou de la couleur que l’on a choisie en fonction de son humeur ou/et de son destinataire, du contact avec le papier également, jusqu’au choix du timbre que l’on va coller sur l’enveloppe. J’aime le son feutré de la plume qui glisse sur le papier, tout comme le léger froissement de celui-ci lorsque le stylo-bille remplace la plume et imprime plus fortement son empreinte. J’aime les volutes et les arabesques dessinées sur la page qui me rappellent les belles écritures anciennes découvertes au gré des brocantes : elles me ramènent aussi à mon enfance durant laquelle pour tromper l’ennui j’allais fouiner régulièrement dans le vieux grenier à la découverte de vieilleries et de curiosités et que je tombais sur quelque vieille lettre à la calligraphie surannée. J’aime aussi éprouver ce plaisir à imaginer son correspondant découvrir ce pli manuscrit et personnel au milieu des factures et autres courriers administratifs, un beau jour dans sa boîte aux lettres, peut-être presque aussi fort que d’en recevoir soi-même.
J’ai redécouvert ces plaisirs infinis il y a quelque temps, en plein confinement, en écrivant une longue lettre à mes artistes préférés, comme quand j’avais quatorze ans et que j’écrivais à mes idoles dans l’espoir de recevoir une photo dédicacée. Je ne savais pas trop ce qui serait le plus fort : la peur du ridicule ou le désir très contrarié de ne pouvoir exprimer tout ce que je ressentais. Mais je crois que quand on aime il faut le dire.
La réponse si gentille et inespérée que j’ai reçue m’a confortée dans l’idée que le courrier possède vraiment un pouvoir particulier, même à notre époque où les mails sont là. Peut-être justement parce que tout va très (trop ?) vite, le plaisir de prendre du temps, que ce soit pour celui qui écrit comme pour celui qui lit, est devenu quelque chose de vraiment précieux. Sur cette lancée j’ai décidé d’écrire une lettre à une amie très chère que je vois trop peu mais avec qui nous échangeons régulièrement de nos nouvelles par mails. Je l’ai fait car je savais qu’elle saurait apprécier ce geste, et qu’elle était dans une période un peu difficile de sa vie où une chose aussi anodine et inattendue qu’une lettre manuscrite saurait amener un peu d’inattendu dans son quotidien. Elle en a été effectivement très touchée même si sa réponse est venue par mail, avec le regret de ne pas avoir le temps et le « courage » de me répondre elle aussi par courrier postal. Je n’attendais pas un retour à l’identique, et je crois que égoïstement je m’étais fait déjà plaisir à moi-même en lui écrivant !
Cette double façon d’échanger avec mon amie, soit par mail soit par lettre manuscrite m’a également confortée dans une impression que j’avais déjà : le teneur de ces écrits est bien différente selon que l’on écrit au stylo ou au clavier. En tous cas pour moi cela semble se confirmer, mes écrits seront différents, pour un même destinataire, en fonction de la manière choisie. Alors que par mail je suis capable de raconter n’importe quoi et de plaisanter comme je le ferais dans une conversation amicale, mes lettres manuscrites me semblent plus personnelles, plus intimistes, comme si c’était bien moins banal qu’un simple mail et que cela méritait davantage d’attentions : je choisis peut-être davantage mes mots, je travaille et remets sur l’ouvrage mon texte bien autrement que je ne le fais au clavier, même si je m’applique aussi. Et puis il y a une sorte de double distance créée par la lettre : une distance géographie (quelque peu abolie par les mails et Internet) et une distance temporelle car la lecture différée impose de traiter les sujets différemment parfois, et la lettre n’appelle pas de réponse immédiate comme on pourrait l’attendre d’un mail ou d’un SMS. Il y a un décalage qui fait que le temps de la lettre, que ce soit celui de son écriture ou de sa lecture, est un temps tout à fait à part il me semble. C’est un moment un peu hors du temps pour chacun : écrire une lettre implique de se poser, se mettre dans une posture et une disposition agréables, confortables, surtout si comme moi on est du genre volubile ; de la même façon lire une missive qu’on vient de recevoir permet de faire une pause dans son quotidien, on prend du temps pour soi et pour celui qui nous a écrit.
Un moment hors du temps, hors de tout, c’est tellement précieux.